LES RESISTANTS DES DEUX-SEVRES

SUR LE FRONT DE LA ROCHELLE - 1

Les Deux-Sèvres dans la guerre 1939-1945

 

 

Après quatre ans de doute et de désespoir, mais aussi de lutte et de combat contre l'occupant et le fascisme, la France se libère peu à peu de l'emprise allemande au cours de l'été 1944. Bien que délaissées par les troupes alliées en raison de leur manque d'intérêt stratégique, les Deux-Sèvres sont progressivement libérées à la fois par les actions de guérilla de la Résistance et le repli des Allemands qui évacuent le Sud-Ouest pour se regrouper dans l'Est du pays, proche de l'Allemagne.

 

Niort célèbre officiellement et en grande pompe sa libération le 6 septembre 1944. Ce jour-là, défilent dans les rues de la capitale des Deux-Sèvres les unités de la Résistance rassemblées depuis peu en une seule organisation : les FFI. En effet, depuis le 15 août précédent, les deux principales organisations de la Résistance militaire se sont fédérées sous les ordres du chef de l'AS, Edmond Proust, dit Chaumette, et n'ont plus constitué qu'un seul ensemble. C'est cet ensemble qui préfigure le régiment deux-sévrien qui va participer aux combats de la poche de La Rochelle, le 114e régiment d'infanterie.

 

Car la Libération, ce n'est pas la fin de la guerre. Le 6 septembre 1944, une bonne partie du territoire national est encore sous la botte allemande. Certes, les Alliés avancent rapidement dans le Nord de la France, après que Paris eut été délivrée le 25 août 1944. Certes, l'offensive de la première armée française dans la vallée du Rhône, après le débarquement de Provence du 15 août, est une réussite.

 

Mais les Allemands ne reculent qu'en bon ordre et l'on sait qu'il faudra encore près de huit mois avant que l'offensive générale des Anglo-Américains d'une part et des Russes d'autre part ne contraigne finalement Hitler à lâcher prise.

 

Pendant ces huit mois supplémentaires de guerre, bon nombre d'unités allemandes de France se sont retranchées autour de leurs bases sous-marines : partout où elles existent, au Verdon et à la pointe de Grave, à La Rochelle, à Saint-Nazaire et à Lorient, de bonnes troupes appuyées de matériel lourd ont reçu pour mission de défendre ces positions coûte que coûte.

 

C'est ainsi que, dans la seule poche de La Rochelle, plus de 10.000 Allemands[i] se sont enfermés pour empêcher les Français de pénétrer et, s'il le faut, faire sauter les installations portuaires.

 

Dans ce contexte, il convient, aux yeux des nouvelles autorités françaises, de regrouper autour de la poche de La Rochelle tous les régiments disponibles de la nouvelle armée en gestation, pour l'essentiel des troupes provenant des régions voisines. C'est à cette mission que sera affecté le  114ème RI.

 

Pour l'essentiel, les forces de la Résistance en Deux-Sèvres se sont retrouvées au sein du 114ème régiment d'infanterie, reconstitué pour la sixième fois de son histoire. Il convient toutefois de mentionner que d'autres combattants de l'ombre, en particulier ceux qui étaient rattachés aux unités résistantes de la Vienne, comme le maquis Fernand ou le groupe Tabourdeau, furent intégrés au 125ème RI de Poitiers et expédiés soit sur le front de La Rochelle, au sud du secteur affecté aux combattants des Deux-Sèvres, soit dans la poche de Saint-Nazaire.

 

 

 

 

 

 

affiche de recrutement

De la Résistance à l’armée régulière

 

C'est au cours du mois de septembre 1944 que prend corps l'idée de rassembler les volontaires de la Résistance des Deux-Sèvres en un régiment de l'armée régulière. Baptisé d'abord du nom de régiment Chaumette en référence au pseudonyme choisi par son chef à la fin de la guerre, il prend ensuite le nom du régiment de tradition des Deux-Sèvres, le  114ème RI.

 

Tous les hommes de l'AS et des FTP, réunis au sein des FFI, se voient proposer un engagement, pour la durée de la guerre ou pour une durée supérieure, au sein de ce régiment. Mais nombreux sont les résistants d'hier qui ne veulent pas se muer en soldats de demain. En effet, sur les 7 358 hommes que regroupent officiellement les FFI au jour de la Libération, seuls 2 833 s'engagent dans le  114ème RI, ce qui ne représente guère plus de 38,5 % des effectifs disponibles. Et, au cours de la guerre, l'effectif s'amoindrit quelque peu, puisque le 16 février 1945, on ne comptait plus que 2 569 hommes au sein du  114ème RI[ii]. On peut s'étonner de ce faible enthousiasme et du manque d'entrain apparent manifesté par les résistants pour continuer à découvert le combat de la clandestinité. Deux raisons peuvent y concourir.

 

D'abord, les contraintes de l'engagement et de la vie militaire. S'engager pour la durée de la guerre, c'est s'engager pour une durée inconnue, dans des conditions sans doute difficiles et avec des risques certains. Même pour ceux qui ont un idéal à réaliser et un but à atteindre, il existe quelques obstacles, le premier d'entre eux étant sans aucun doute l'attachement à une femme et à des enfants, qui a découragé les plus âgés. Pour cette raison, les engagés volontaires du  114ème RI furent en majorité des jeunes hommes. C'est d'ailleurs surtout à eux que s'adressent les affiches de propagande qui proclament: « Jeune, pour frapper le dernier coup, engage-toi au 117e RI ou au  114ème RI »

 

Une autre raison tient à la diversité des motivations des différentes catégories de résistants. Et, à cet égard, il n'est pas inutile d'opérer un petit retour en arrière et de rappeler comment la résistance deux-sévrienne prit son essor au cours de l'année 1944.

 

Les FFI s'étaient constitués par la fusion de deux troupes principales, celles de l'AS (Armée Secrète) et des FTP (Franc -Tireurs et Partisans). A l'AS, le nombre de soldats de l'ombre était, officiellement, de 561 à la veille du débarquement. Il doubla en moins d'un mois pour atteindre 1 081 au début juillet, puis quadrupla dans les deux mois de juillet et août jusqu'à dépasser légèrement les 4 000 hommes (4 086 précisément) au moment de la libération du territoire départemental, début septembre 1944. Pour les FTP, qui étaient 116 au 1er juin, le mois de juin fut éminemment favorable puisqu'il permit à ce mouvement de dépasser l'AS - selon ses affirmations officielles - avec 1 575 hommes au 1er juillet. Les deux premiers mois d'été permirent de renforcer encore le recrutement des FTP et de porter ce nombre à 3 272 à la veille de la Libération, à un niveau un peu inférieur à celui de l'AS

 

Au total, donc, le nombre des résistants passa de 677 au 1er juin à 7358 au moment de la Libération, soit un effectif multiplié par onze en trois mois ! Dans leur sécheresse, les nombres traduisent un phénomène bien souvent décrit, celui du gonflement des effectifs lié au changement imminent de situation politique. Pour de nombreuses personnes, de toutes origines politiques et dont les parcours avaient été plus que tortueux pendant l'occupation, il convenait de se faire une virginité au moment opportun, de façon à masquer les erreurs précédentes.

 

Ceci correspondait aussi à des enjeux politiques majeurs de la période de la Libération. En effet, pour les responsables communistes en particulier, le recrutement de nouveaux résistants était devenu un enjeu politique. Il s'agissait d'asseoir, par le biais du Front National et des FTP, le futur rapport de forces à la Libération sur une grande masse de résistants et, si possible, de le faire pencher en faveur des communistes. D'où la nécessité de recruter en grande quantité et sans trop regarder ni à la qualité ni à l'entrain des nouvelles recrues, ainsi que le souligne l'un des responsables du Front National dans le Mellois, André Garnaud :

 

« En réalité, lorsque la fusion [entre l'AS et les FTP s'est faite fin août et que j'ai eu le commandement du secteur 6 [des FFI] le recrutement se faisait à tour de bras. Il était facile de voir le souci de présenter en haut lieu des unités combattantes importantes... Dans la pratique la majorité n'avait jamais participé à des actions contre l'occupant. »

 

Et André Garnaud d'expliquer la raison de cet enrôlement massif :

 

« Ce serait trop long de m'étendre sur les zizanies de certains de mes chefs du Front National, qui n'avaient pas la même conception de la résistance que nous. On avait déjà commencé le cloisonnement des Français pour s'en faire un tremplin politique en vue d'une prise de pouvoir. »

 

Sentiment partagé par de nombreux résistants authentiques, que celui d'avoir été dépossédé du but essentiel de leur action pour des considérations politiques et partisanes et d'avoir surtout servi de pions dans la lutte pour le pouvoir.

 

Dès lors que la libération du territoire était réalisée, beaucoup de résistants « de la onzième heure » considérèrent qu'ils avaient fait assez pour pouvoir se faire délivrer un certificat de bonne conduite et que la sagesse consistait à reprendre leurs activités civiles ordinaires. De ce fait, l'engagement actif contre l'ennemi allemand ne leur paraissait aucunement nécessaire. Sans doute même le ressentaient-ils comme dangereux!

 

Il n'empêche que, courant octobre, les autorités civiles et militaires pouvaient encore compter sur environ 5 500 hommes [iii] prêts à participer à des actions patriotiques. Le préfet avait, en effet, conçu le projet de créer, outre le  114ème RI, un bataillon de sécurité, constitué pour la période de la guerre, et qui se verrait affecter des tâches de maintien de l'ordre (comme la garde des prisonniers allemands ou de miliciens) ou de défense territoriale (en cas d'attaque allemande en profondeur vers les Deux-Sèvres).

 

Sur les 2 700 hommes affectés à ces tâches au lendemain du départ des Allemands, il espérait pouvoir en garder 800 qui seraient répartis en huit compagnies de formation territoriale [iv] baptisées du nom de leur chef et confiées à huit résistants remarqués : Sanson (Bressuire), Chessé (Thouars), Péaron, (Parthenay), Delage (Niort), Gauthier (Sainte‑Ouenne), Perrot (La Foye‑Monjault), Chadeau (La Mothe) et Mohamed (Lezay). A ces 800 soldats serait proposé un simple engagement pour la durée de la guerre et proche de leur domicile, afin de vaincre les réticences déjà mentionnées. Las pour le préfet Hudeley, ce projet ne vint pas à terme. La dissolution des Milices Patriotiques (auxquelles se seraient apparentées les formations envisagées), voulue par le général de Gaulle et effective au 28 octobre 1944, lui porta un coup fatal. Passèrent aussi à la trappe les services de renseignements issus de la Résistance mais non encore intégrés à l'armée, appelés un peu pompeusement «2e bureaux ».       

                       

Sous la pression de Chaumette, leur ancien chef, ils « ont accepté par esprit de discipline la mesure gouvernementale qui les supprimait car « leur méthode qui convenait en période presque révolutionnaire ne cadrait plus avec le retour à un régime normal » malgré leur « gros travail d'épuration » [v] qui, en Deux‑Sèvres, n'avait guère appelé de critiques.

                                  

Le mot est lâché. En évoquant cette période presque révolutionnaire, les Renseignements Généraux sont à l'unisson avec la pensée du Gouvernement provisoire. De Gaulle est obsédé par la crainte d'une prise de pouvoir du parti communiste et se méfie de toutes les structures issues de la clandestinité que ce parti pourrait contrôler. D'où sa volonté réaffirmée d'un retour aux structures régulières et ses décisions de mise au pas des organisations qui lui échappent.                  

                       

Reste enfin une explication à la chute rapide des effectifs dans le passage des FFI au  114ème RI : les pressions réitérées et puissantes des organismes civils qui jouent un rôle‑clé dans la remise en marche de l'économie française, tels que les PTT, les Ponts et Chaussées ou la SNCF, voire le Trésor. Leurs responsables reviennent régulièrement à la charge auprès de Chaumette pour lui demander d'encourager ses soldats relevant de leurs administrations à regagner le plus vite possible leur emploi civil.

 

 

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